Dans le cadre de cette série de quatre articles traitant des tarifs appliqués dans l’univers de la traduction, celui-ci en constituant le premier volet, nous allons passer en revue plusieurs concepts fondamentaux visant à en appréhender le marché, à découvrir les mécanismes intrinsèques à la tarification et, enfin, à déterminer les actions à mettre en œuvre en vue de passer au palier supérieur de ce marché. Le quatrième article portera quant à lui sur les points que les clients doivent prendre en compte pour dénicher la perle rare, à un tarif juste pour tous. Suivez-nous dans ce voyage inédit dans les coulisses de la traduction.
Contrairement aux idées reçues, il n’existe pas un seul et unique marché de la traduction, mais bien plusieurs. Il n’est point question ici des sous-industries de notre secteur, qui relèvent plutôt des différents domaines d’expertise (traduction juridique, médicale, technique, marketing ou financière, pour ne citer que quelques-unes des spécialités), mais bien de marchés sous-jacents à chacun de ces domaines. La catégorisation de ces marchés sous-jacents tient compte, en lieu et place, de l’importance qu’accorde le client final à la qualité de la traduction (et donc du budget qu’il est enclin à y allouer), ainsi que de la qualité de la traduction en elle-même.
Commençons par distinguer ces trois marchés sous-jacents :
- le marché des bottom-feeder, aux tarifs extrêmement bas, si ce n’est insultants, dont les acteurs sont principalement situés dans certains pays ;
- le marché dit de moyenne gamme, qui regroupe des clients finaux aux attentes moyennes, voire médiocres, et les traducteurs délivrant peu ou prou le même niveau de qualité moyen ; et, pour finir,
- le marché que je qualifierais de marché haut de gamme, composé d’une part de clients finaux à même de reconnaître la valeur ajoutée d’une traduction soignée et peaufinée et d’autre part des traducteurs en mesure de produire ces travaux et d’apporter une véritable expertise et plus-value linguistique.
Explorons ces marchés un peu plus en profondeur à présent…
Les bottom-feeder : la course effrénée aux prix les plus bas
Ce marché se veut principalement être celui des « traducteurs du dimanche », des grands débutants et des personnes traduisant dans une langue autre que leur langue maternelle. Les clients finaux n’accordent presque aucune valeur aux traductions, si ce n’est en regard de la volonté (ou de l’obligation) de produire un texte dans d’autres langues. Qu’importe la qualité de la traduction ici, elle n’a bien souvent pas vocation à attirer et conserver de nouveaux clients. Les intermédiaires (agences) sont bien souvent situés dans certains pays où le niveau de vie est bien inférieur à celui des pays d’Europe occidentale. Les prix qui y sont pratiqués vont de moins de 0,01 € le mot à 0,03 €, parfois un peu plus (entre 0,04 et 0,06 €, auquel cas il s’agirait plutôt d’un autre marché à cheval entre les bottom-feeder et le marché de moyenne gamme). Bien entendu, je vous laisse imaginer la qualité des rendus, tant sur le fond que sur la forme…
Le marché dit de moyenne gamme : un marché saturé de généralistes et de pseudo-experts
Ce marché tend à jouer le rôle de marché de référence de notre industrie, et c’est bien là tout le problème. Côté demande, y pullulent la grande majorité des agences de traduction, des multinationales et autres grandes entreprises. Côté offre, nous y retrouverons des traducteurs généralistes et pseudo-experts. Les traductions y sont de moyenne qualité, si ce n’est médiocres voire tout bonnement impropres dans le cas de textes spécialisés, d’où le recours au vocable de « pseudo-experts ». Ces traducteurs se sont bien souvent auto-proclamés traducteurs juridiques ou financiers (pour ne citer que les spécialités les plus revendiquées), sans toutefois disposer des connaissances approfondies nécessaires à la bonne exécution de leur mission. Quoi qu’il en soit, au vu des tarifs imposés pratiqués sur ce marché, se former dans son domaine d’expertise n’en vaut pas la chandelle. Nul besoin non plus de parfaire sa maîtrise du français ni de respecter à la lettre les règles de typographie. Partant, les réclamations clients y sont plutôt monnaie courante : en effet, le client final s’attend à une bonne traduction (n’oubliez pas, il s’agit du marché « de référence »), sans pour autant accorder un quelconque crédit aux compétences des traducteurs à son service ni allouer un budget permettant de recourir à de véritables spécialistes. Sur ce marché, les prix oscillent entre 0,06 et 0,08 € le mot source. À prix moyen, qualité moyenne ! Pas de quoi mener la grande vie pour les traducteurs, donc…
À titre personnel, j’estime que le marché dit de moyenne gamme ne devrait même pas exister s’agissant des traductions relevant des domaines d’expertise, mais en lieu et place se limiter aux traductions généralistes, et je vous en donnerai les raisons dans le deuxième article de notre série.
Le marché haut de gamme : la maîtrise du domaine d’expertise et du français est la clé
C’est LE marché des traductions spécialisées, des clients finaux exigeants et des agences de traduction apportant une réelle plus-value dans leur rôle d’intermédiaire (au lieu de se limiter à créer des projets et à les attribuer au premier traducteur disponible, puis à transmettre la traduction au client final). On y distingue (principalement) deux types de traducteurs : ceux qui sont issus du domaine d’expertise (par exemple, un juriste se reconvertissant à la traduction) et qui ont suivi une véritable formation en traduction et ceux qui proviennent du milieu de la traduction généraliste et qui se sont formés dans le domaine en question. Se pose(nt) ici un sinon deux écueils de taille : la connaissance approfondie du français et des règles qui le régissent font souvent défaut aux premiers, leur traduction manquant ainsi de fluidité parce que trop littérale (mais, au moins, ils savent de quoi ils parlent et la terminologie est correcte), tandis que les seconds n’ont pas poussé suffisamment loin leurs efforts de formation « technique », à l’origine de quelques erreurs (voire bon nombre ?) de traduction susceptibles de passer inaperçues sous couvert d’un texte au français extrêmement soigné (un constat que l’on peut transposer à la post-édition de traduction automatique : le texte cible « sonne bien », il semble donc superflu d’en modifier quoi que ce soit, quitte à ne pas se rendre compte de l’omission de certains termes « qui posent problème »). De ces deux catégories principales émerge une troisième : les traducteurs dotés d’une maîtrise du français proche de la perfection et de connaissances poussées dans le domaine d’expertise. À mon sens, seule cette troisième catégorie devrait officier à ce niveau et faire office de marché de référence de traduction. Sur le plan tarifaire, à marché de qualité supérieure, prix supérieurs : 0,09-0,10 € le mot source pour les deux premières catégories et 0,11-0,14 € pour la troisième. Ces tarifs reflètent alors davantage les véritables caractéristiques propres au métier de traducteur indépendant : un Master en traduction, des formations nombreuses et régulières dans le domaine d’expertise (ce qui a un coût en termes monétaire, d’énergie et de temps) et la prise du risque (étant en freelance, le chiffre d’affaires n’est pas garanti).
Dans le deuxième volet de cette série, nous plongerons au cœur même de la question : pourquoi les prix sont-ils ce qu’ils sont. Volontairement plus court que ce premier volet, il pourra en revanche éveiller une certaine prise de conscience et susciter des vagues d’émotions (négatives ou positives).
Remarque : les prix indiqués dans cet article se réfèrent aux tarifs agences. Les tarifs facturés aux clients directs sont d’ordinaire deux fois plus élevés.